testament

MARCEL HANOUN

Marcel Hanoun est mort le 22 septembre 2012. Sa pensée et son action, ses sentiments et son intelligence, sa créativité géniale et infatigable, sa quête éperdue de l’insaisissable dans l’image et dans le cinéma,  ont inspiré la naissance et la vie de Filmcare. Son oeuvre, son souvenir et sa présence seront toujours vivants parmi nous. 
Après avoir produit son film Cello et l’Entrefilm dont il est le protagoniste, autour du thème de son testament, c’était le tour du film “DE HERON JE N’AI VU VOLER QUE DES HERONS SOLITAIRES ». Avant qu’on ai le temps de matérialiser  le budget minime nécessaire, il venait, de nous annoncer la fin du tournage fait par lui seul avec sa petite caméra sur le mode du journal intime et il nous demandait de mettre en place un dispositif pour le montage. Sa créativité était géniale, infatigable et devançait tout. 


Les obsèques de Marcel Hanoun auront lieu le mercredi 3 octobre à 14 heures au cimetière du Père Lachaise.

DEPOUILLEMENT

Le désir de Marcel Hanoun, de léguer ses ultimes propos sur la nature de l’image et l’essence du cinéma, le sentiment d’un départ imminent ainsi que sa tension vers un retour aux origines – à un sujet matriciel, dans son œuvre comme dans la vie – fondent son film CELLO.

Le titre, CELLO,  jeu de mots sur le nom propre de l’auteur et l’instrument de musique – « Marcello » et « Violoncelle » – annonce, comme un germe,  la couleur: confluence de nuances entre souci de l’art et souci de soi, entre création et affectivité.

Le film s’inscrit  dans la quête d’une vie, dont il représente  une nouvelle étape: réduire la distance entre intériorité et extériorité, filmant et filmé, regardant et regardé.  La mise en question du sujet, riche et complexe dans toute l’œuvre Hanounienne, ne touche plus ici seulement à la théorie du cinéma, aux relations de travail et d’amitié, mais approche une sphère plus intime, de relation à soi-même, aux êtres très proches et à l’amour.

Dans sa recherche tenace pour intégrer l’aléatoire et dépasser le dilemme par un paradoxe, Marcel Hanoun concilie le désir de faire jouer une jeune critique de cinéma, à peine rencontrée, Stéphanie Serre, avec celui de rester fidèle à sa complice de long date, Lucienne Deschamps. Il laisse ainsi affleurer de l’inconscient deux figures féminines: une mère et sa fille. La fille interroge la mère sur son retrait de la création et du monde. La mère lui répond, mais l’histoire n’ira pas plus loin. Les deux personnages demeurent de faite des expédients pour aborder une réflexion sur la vie et la création et ils parlent, au fond, du testament d’un homme, d’un réalisateur habité par un féminin archaïque: Marcel Hanoun, auteur unique dans l’histoire du cinéma par sa volonté de remonter en amont de la vision, d’approcher une matière optique première et matricielle.

Un même texte est lu, interprété, joué par les comédiennes et l’auteur, tous accoudés autour de la même table: plateforme blanche et ressort de la vie quotidienne du réalisateur. Ses repas, ses rencontres, son écriture, le montage de ses films… s’y déroulent.

Le verbe du film est un entrelacement de voix, déclinées dans toute les combinaisons possibles: superposition, enchaînement, incision, irruption, greffe, remplacement, écrasement… L’espace mental ainsi rendu exprime en même temps l’intime et sa projection, le dialogue intérieur et la relation à une altérité proche.

Ce traitement du point de vue sonore et de la voix, à la fois multiple et unitaire, ainsi que l’interrogation de la relation mère-fille,  nous renvoient au film fondateur de la longue carrière de Marcel Hanoun UNE SIMPLE HISTOIRE. Dans les deux films le  corps féminin, thème cher à l’auteur, est saisi dans l’espace, le temps, les passages de la relation mère-fille. Mais la où le jeune cinéaste avait cerné une mère, dans sa fonction sociale et protectrice de lutte pour la survie et la dignité du couple solitaire qu’elle forme avec sa fille, le vieux cinéaste focalise la relation dans sa réciprocité et dans sa nature spirituelle et sacrée. Il nous renvoie, par elle, à la continuité charnelle qui nous relie à la vie et à ses mystères.

Le décor de Cello est la maison de l’auteur, plateau de ses films depuis des dizaines d’années. Ce même lieu a évoqué à tour de rôle un couvent, le tribunal de Jeanne d’Arc, des territoires de guerre, des prisons d’otages au Liban ou en forêt amazonienne… En conformité avec un minimalisme de plus en plus exigeant, ce même décor  figure enfin dans ce film pour ce qu’il est: le cadre de vie sobre et dépouillé de l’auteur et protagoniste de son film.

Francesca Solari 2011