création

DISCOURS AMOUREUX DU CINEMA

Marcel Hanoun s’en est allé avec deux projets, l’un sur la mort et l’autre sur l’amour, l’un en travail et l’autre en lueur, venant de surgir, soudain, de la vie, du réel, de l’insaisissable, d’une écoute aiguisée et pénétrante. Quand Marcel a parlé de l’amour, des amours, de ces rencontres amoureuses lumineuses et fulgurantes, qui ponctuent nos vies, sa respiration était déjà fatiguée. Il a demandé de sortir de sa sacoche une petite caméra, une nouvelle, encore, et il a tourné un plan, le dernier.
Ce film restera une lueur qui aura traversé toute son œuvre, qui n’est pas sur l’amour, mais consubstantielle à l’amour.
L’amour, ce fils de Poros et de Poenia, du passage et du manque, ne peut en effet vivre que de l’accueil de son propre manque. C’est la pensé mystique, chère à Marcel et nourriture de son œuvre, qui éclaire le mythe de Poenia et Poros. L’amour ne peut croître que de sa propre imperfection assimilée. L’amour ne peut se nourrir que de son propre deuil, deuil de sa faim de fusion, acceptation de la distance qui sépare l’aimant et l’aimé, révérence à l’altérité.
Tout en partant de son désir d’homme, gourmand, assoiffé, parfois dévorateur, de complicité, de reconnaissance et d’amitié, autant que d’un bon verre de Grave ou d’un goûteux morceau de parmesan, Marcel n’a cessé de travailler et de penser le manque, l’absence, le silence, l’espace du souffle. Il l’a fait, à tous les niveaux du dispositif créatif : renonciation à la fiction, deuil de la représentation, inflexion de la direction, ouverture à l’aléatoire, primauté du hors-champ, co-création avec l’acteur, liberté rendue au spectateur, liberté de rêver, d’imaginer, de voir son propre film.
Dans sa tension incessante à la création,
dans son désir inépuisable de cinéma,
dans sa recherche inaccessible de l’amour,
Marcel Hanoun a fondé une nouvelle discipline, qu’on pourrait appeler une érotique du cinéma, selon la signification grecque de l’érotique qui n’évoquait pas, comme de nos jours, le plaisir sexuel, mais signifiait la science de l’amour.
Science amoureuse,
discours amoureux du cinéma,
au sein du cinéma.


Francesca Solari
(Octobre 2012)

MARCEL HANOUN

Marcel Hanoun est mort le 22 septembre 2012. Sa pensée et son action, ses sentiments et son intelligence, sa créativité géniale et infatigable, sa quête éperdue de l’insaisissable dans l’image et dans le cinéma,  ont inspiré la naissance et la vie de Filmcare. Son oeuvre, son souvenir et sa présence seront toujours vivants parmi nous. 
Après avoir produit son film Cello et l’Entrefilm dont il est le protagoniste, autour du thème de son testament, c’était le tour du film “DE HERON JE N’AI VU VOLER QUE DES HERONS SOLITAIRES ». Avant qu’on ai le temps de matérialiser  le budget minime nécessaire, il venait, de nous annoncer la fin du tournage fait par lui seul avec sa petite caméra sur le mode du journal intime et il nous demandait de mettre en place un dispositif pour le montage. Sa créativité était géniale, infatigable et devançait tout. 


Les obsèques de Marcel Hanoun auront lieu le mercredi 3 octobre à 14 heures au cimetière du Père Lachaise.

SCULPTER LES RELATIONS

Le portrait de Marcel Hanoun créé par Francesca Solari à l’occasion du tournage de Cello, film conçu par Hanoun comme testamentaire, reconfigure l’ensemble des instances de la création. Pour le titrer, il a fallu forger un mot, qui peut servir de terme générique a l’ensemble de ces œuvres travaillant les formes de l’échange (on en trouverait un exemple avec la Correspondance filmée entre José Luis Guérin et Jonas Mekas, tournée au même moment) : L’Entrefilm. Entre les deux tournages concomitants, les équipes se mêlent, les interpellations et dialogues en verbe et en image s’intensifient. Deux Arts Poétiques magistraux, l’un fictif (Cello), l’autre documentaire (L’Entrefilm) naissent en miroir, saisissant dans la lumière de leurs faisceaux croisés les gestes concrets, les voies inattendues et les processus psychiques qui président à la création.

Avec L’Entrefilm, Francesca Solari crée l’un des chefs d’œuvre par où les générations à venir pourront entrer dans nos questions d’images. Elles y verront comment les images ne servaient plus à sauvegarder des apparences mais à sculpter des relations entre des êtres qui, grâce à un siècle de pratique, savaient désormais que leur dimension la plus vive ne leur pré-existait pas. L’Entrefilm de Francesca Solari répond en images et par l’affirmative à cette préoccupation dont en 1975, commentant La Cérémonie, autre grand film sur l’identité, Masao Adachi fit l’hommage à Nasiga Ôshima: “Il demande à nouveau si les mots du passeur d’histoires, celui qui raconte la pensée, peuvent transmettre le véritable poids de la vie.”

Nicole Brenez 2012