Marcel Hanoun s’en est allé avec deux projets, l’un sur la mort et l’autre sur l’amour, l’un en travail et l’autre en lueur, venant de surgir, soudain, de la vie, du réel, de l’insaisissable, d’une écoute aiguisée et pénétrante. Quand Marcel a parlé de l’amour, des amours, de ces rencontres amoureuses lumineuses et fulgurantes, qui ponctuent nos vies, sa respiration était déjà fatiguée. Il a demandé de sortir de sa sacoche une petite caméra, une nouvelle, encore, et il a tourné un plan, le dernier.
Ce film restera une lueur qui aura traversé toute son œuvre, qui n’est pas sur l’amour, mais consubstantielle à l’amour.
L’amour, ce fils de Poros et de Poenia, du passage et du manque, ne peut en effet vivre que de l’accueil de son propre manque. C’est la pensé mystique, chère à Marcel et nourriture de son œuvre, qui éclaire le mythe de Poenia et Poros. L’amour ne peut croître que de sa propre imperfection assimilée. L’amour ne peut se nourrir que de son propre deuil, deuil de sa faim de fusion, acceptation de la distance qui sépare l’aimant et l’aimé, révérence à l’altérité.
Tout en partant de son désir d’homme, gourmand, assoiffé, parfois dévorateur, de complicité, de reconnaissance et d’amitié, autant que d’un bon verre de Grave ou d’un goûteux morceau de parmesan, Marcel n’a cessé de travailler et de penser le manque, l’absence, le silence, l’espace du souffle. Il l’a fait, à tous les niveaux du dispositif créatif : renonciation à la fiction, deuil de la représentation, inflexion de la direction, ouverture à l’aléatoire, primauté du hors-champ, co-création avec l’acteur, liberté rendue au spectateur, liberté de rêver, d’imaginer, de voir son propre film.
Dans sa tension incessante à la création,
dans son désir inépuisable de cinéma,
dans sa recherche inaccessible de l’amour,
Marcel Hanoun a fondé une nouvelle discipline, qu’on pourrait appeler une érotique du cinéma, selon la signification grecque de l’érotique qui n’évoquait pas, comme de nos jours, le plaisir sexuel, mais signifiait la science de l’amour.
Science amoureuse,
discours amoureux du cinéma,
au sein du cinéma.
Francesca Solari
(Octobre 2012)